Révolution Les Étoiles, l’ultime tournée : Alors ça nous prend la télé?  

La tournée de la populaire émission de télévision Révolution a débuté il y a quelques semaines et se poursuit jusqu’au mois de juin à travers le Québec, mais aussi au Nouveau-Brunswick où un arrêt est prévu. Avec plus de 50 000 places vendues, ce spectacle remplit de grandes salles et provoque même l’ajout de supplémentaires. Une chose malheureusement très rare en danse. Alors, est-ce que c’est la télé qu’il nous faut pour démocratiser la danse ?

Jeudi soir, j’ai eu la chance d’être invitée au tout nouveau spectacle de Révolution, à l’Espace St-Denis, à Montréal. Comme l’an dernier, il s’agit d’un enchaînement de numéros que le public a pu voir dans le confort de sa maison cet automne, devant sa télévision, mais cette fois-ci, qui se déroulent sur une scène. De courts intermèdes parlés ou dansés s’y ajoutent ainsi qu’une scénographie encore plus poussée, agrémentée d’un travail de lumière de qualité. Enfin, quelques extraits de la saison sont aussi projetés pour toucher à la nostalgie et aux souvenirs des fans. Ainsi, pendant près de 90 minutes, les spectateurs retrouvent en chair et en os leurs favoris de la 6e saison de Révolution, celle des Étoiles : les gagnants Sam Cyr et Sean Wathen, Yoherlandy Tejeiro Garcia et Yelda Del Carmen, les sœurs Ophélie et Ann-Florence Bégin, la troupe BAD ainsi que le trio composé de Gabrielle Boudreau, Jordan Raymond et Santiago Santamaria-Correa.

Révolution Les Étoiles, l’ultime tournée est un spectacle de grande qualité. En effet, les artistes qui sont présent.e.s sur scène ont, pour la plupart, une carrière précédente leur passage télévisé. Ils font, pour certains, partie de compagnies, prennent part à des projets de créations ou sont chorégraphes ou enseignant dans des studios. Tous et toutes ont une maîtrise technique de leur danse assez exceptionnelle et celle-ci allie à la fois l’aspect artistique et physique/athlétique de la danse. Révolution, et sa tournée, reprennent en effet les codes du milieu compétitif de la danse à savoir de courts numéros, punchy qui rentrent en général sur une chanson de 2 ou 3minutes, chansons qui elle-même est populaire, ou le plus souvent mainstream. Cependant, depuis le départ, l’émission a voulu pousser l’artistique en proposant aux danseur.euse.s d’élaborer leurs idées non seulement sur des mouvements, mais aussi sur des intentions. Ainsi, de fortes thématiques, comme le suicide, la pansexualité, le deuil ou l’abandon ont été soulevées dans les dernières émissions. On se rapproche alors ici d’un processus qui, la plupart du temps, est davantage associé à l’aspect plus abstrait de la danse contemporaine, qui pour l’instant reste encore, j’ai l’impression, une zone sombre pour le grand public. Mais pourtant, l’un et l’autre sont-ils si éloignés l’un de l’autre ? Hiérarchiser les types de danse ne nuirait-il pas au public, et donc au milieu de la danse ?

Ouvrir la voie

Ce qui m’a frappé en arrivant dans la salle, en plus du fait qu’elle soit pleine à craquer, c’est aussi la diversité des personnes, des âges, des couleurs de peau qui étaient présentes. L’événement est assurément rassembleur, et au vu des supplémentaires qui s’ajoutent, le public en redemande. Or, c’est un phénomène quasi inexistant dans le milieu de la danse. Comment cela se fait que ce public veuille toujours plus de danse, mais n’en consomme pas vraiment ailleurs qu’à Révolution ?  Y a-t-il une méconnaissance du milieu ou des aprioris qui subsistent sur certains styles ou sous-styles de cet art ? Certainement, et c’est dommage. Est-ce que ça prend la télévision et des émissions innovantes, mais collées aux valeurs des différentes cultures de la danse pour qu’elles soient démocratisées et que des salles se remplissent enfin ?

La démocratisation est justement un mot qui m’est souvent revenu en tête pendant la soirée, notamment lors des quelques interludes proposés. Tout d’abord, une place est laissée à une troupe ou un.e jeune artiste qui présente alors un numéro au milieu de la représentation. Ainsi, dans chaque ville, le public pourra découvrir de nouveaux artistes. Une belle façon de leur ouvrir la voie, d’offrir une grande visibilité, mais aussi de faire réaliser aux spectacteur.rices toute l’étendue des talents qui existent au Québec, notamment en danse.

À un autre moment, les artistes vont chercher trois personnes du public pour qu’elles prennent le rôle des jurys. Face a eux, deux danseurs s’affrontent, oui comme dans la section Face-à-face de l’émission, mais ça va un petit peu plus loin. Les danseurs expliquent en effet qu’il s’agit ici d’un battle, que les artistes sont pigés au hasard et s’affrontent en improvisant sur une musique qu’ils et elles ne connaissent pas. Ils ajoutent aussi que ce type d’affrontement provient des rues des États-Unis et est devenu une alternative aux conflits violents qui s’y déroulaient. Certes, ce point-là ne dure que quelques minutes et est surtout là pour être ludique et faire intervenir le public, mais n’empêche que dans un spectacle aussi populaire, souvent considéré comme du simple divertissement, une notion importante de la culture hip-hop, qui encore aujourd’hui est méconnue ou stéréotypée, est amenée.

Enfin, à la fin du spectacle, d’autres spectateur.rice.s sont invité.e.s à monter sur scène et à partager un mouvement de danse avec une des Étoiles, dans un soultrain. Festif certes et décidément amusant encore une fois, ce passage démontre cependant que tout le monde est capable de danser, de bouger, d’avoir du plaisir avec son corps et de le partager avec le monde. Peut-être anecdotique, mais ce détail permet, je pense, de faire réaliser l’importance de la danse dans leur vie, et peut-être leur semer l’idée d’aller en voir davantage, et dans d’autres formes.

Élite vs commercial

Après avoir vu le spectacle, je me suis beaucoup questionnée sur la vision actuelle de la danse. J’ai encore l’impression que certains valorisent la danse abstraite, théorique, recherchée et rejettent sa forme plus performative, athlétique, divertissante et parfois télévisée. Le profil inverse existe aussi évidemment. Or, selon mes constats et les artistes que je peux côtoyer, la polyvalence permet le plus souvent à un artiste de vivre de son art. Ainsi, il se peut qu’il fasse partie d’une création très poussée, quasi intellectuelle, puis qu’il soit ensuite en arrière-plan de l’émission Zenith. De plus, par-ci par-là, il propose des cours pour compléter son mois. Mais ce qu’il fait, à 100% de sa vie, c’est de la danse. Or, ce n’est pas ça qui compte au final ?

Est-ce que l’accessibilité nuit à la créativité ? Est-ce que le milieu se tire dans le pied en attirant seulement une certaine élite ? Comment relier les deux mondes et ces deux mondes souhaitent-ils se relier ?

Avec la culture, et d’autant plus la danse, qui se meurt au Québec, comment trouver un public qui est prêt à payer plus de 70$ pour un spectacle de danse ? Est-ce que la télé est finalement la solution, même en 2025 ? Elle permet en effet de créer des personnages, et donc de l’attachement dans le cœur du public, de mettre en place des références à travers des numéros qu’il reconnait, qu’il a envie de revoir. Pour certains, elle n’est cependant pas assez articulée, découle du simple plaisir, sans un réel poids artistique. Or, Révolution, bien que calée sur les émissions classiques de compétition, et ayant parfois certains aspects un peu quétaines, a aussi montré des propositions plus osées, plus abstraites, plus décalées. Et ce, à heure de grande écoute. Que faut-il au public pour comprendre que les propositions athlétiques et physiques, mais aussi plus profondes, recherchées existent et cohabitent ailleurs qu’à Révolution. Celles-ci abondent dans toutes les magnifiques salles de spectacles du Québec, souvent désertées. De nouvelles émissions sur la danse, réalisées par des personnes authentiques issues des différents milieux, seraient-elles une des voies ? Le Québec aurait-il l’audace de le faire, le budget pour ça ? Et le public, un esprit assez ouvert pour se lancer dans ces multiples univers ?

Sinon quels seraient les meilleurs canaux ou plateformes pour faire comprendre la danse et attirer du public dans les salles ?